Cette phrase, qui ne l’a jamais entendue ?
Beaucoup d’adultes, encore aujourd’hui, afin de justifier les violences éducatives qu’ils ont pu subir (entre autres les claques, fessées…) minimisent en disant :
« j’en ai reçu, je n’en suis pas mort ! Faut pas exagérer quand même, les enfants ne sont pas en sucre« .
Certains rajoutent même :
« Moi, je remercie mes parents, parce que, sans ça, je ne serais pas qui je suis aujourd’hui« .
Alors bien sur, tous les parents qui sont dans la parentalité positive le savent, à quel point, ces violences éducatives sont néfastes.
Les études, les neurosciences, aujourd’hui, ont prouvé que les violences, qu’elles soient physiques ou psychologiques, abîment nos enfants.
Beaucoup d’entre nous le disent d’ailleurs très justement (moi la première) :
« J’ai d’autres ambitions que juste de « ne pas tuer mes enfants.
Ce que je veux, surtout, c’est bien les construire . »
Qui est, en soit, une réalité, de la logique pure… une évidence… mais, quelle réalité ?
Celle de notre époque, de notre environnement, de notre vécu, de nos exigences, avec … notre réalité.
Alors, je me suis penchée sur la question de l’origine de cette phrase qui hors contexte, peut apparaitre comme étant complètement décalée… mais, qui, après analyse et réflexion, ne m’apparait plus comme étant si incohérente sur l’origine de ceux qui la prononcent.
« J’ai reçu des fessées, des claques… et je n’en suis pas mort ».
Cette phrase, répétée, encore et encore est devenue le crédo de ceux qui pensent qu’éducation rime avec oppression/agression.
Elle est répétée de génération en génération, sans plus n’avoir aucun sans à l’heure actuelle.
Et pourtant, elle a « bercé » notre enfance, notre adolescence, et même encore aujourd’hui en tant que parents, nous sommes confrontés à cette phrase qui, apparait, pour la plupart aujourd’hui comme étant « la norme ».
Mais quelle norme au final ? La notre ? Celle d’une génération née dans un certain confort, dans une grande sécurité, avec, « une cuillère en or dans la bouche » ? …
Remettons cette phrase dans son contexte :
Celle d’une génération qui sort de la guerre, une génération qui, pour la plupart a même connu 2 guerres.
2 guerres terribles, où l’urgence était, de vivre, de survivre… de ne surtout pas mourir de protéger leurs enfants à tout prix, au delà de toute logique, de toute humanité… une réalité qui était la leur et qui dépasse notre imaginaire à nous.
https://www.caminteresse.fr/histoire/temoignage-jai-grandi-dans-des-camps-de-concentration-11122760/
Des témoignages comme ceux là, en dehors même de l’horreur des camps, existent en très grand nombre, exposant le quotidien de l’époque, pour la grande majorité de la population.
La réalité, celle de l’horreur absolue:
Où certains parents envoyaient leurs enfants dans des familles pour les protéger, sans savoir même s’ils les reverraient, dans des familles qu’ils ne connaissent même pas… Où depuis tous petits, ils devaient apprendre à se méfier, à perdre tous leurs repères, leur famille, s’habituer pour la plupart à l’enfer: la mort quotidienne, les tortures, les dénonciations, la perte de toute leur famille, les massacres…
Oui, en cette période, la survie était de mise.
En cette période d’après guerre, après tant d’horreurs vécues et endurées, il fallait tout reconstruire, tout réapprendre et on sortait d’une période si violente, avec tellement d’incohérences, tellement d’infamies inimaginables pour nous aujourd’hui, qui même si nous les connaissons à travers les livres d’histoire, n’est rien en comparaison de la réalité de ceux qui les ont réellement vécues.
Une époque où, en comparaison de leur réalité, les violences éducatives ordinaires que nous décrions tant aujourd’hui, ne pouvaient, de façon logique, être vécues comme « traumatisantes ».
Il fallait aller vite, aller à l’urgence: celle de survivre, gagner sa croûte, travailler, et ne pas se plaindre.
Il n’y avait pas de place pour la psychologie, pour l’empathie, il n’y avait de place que pour l’urgence: l’urgence de vivre, l’urgence de survivre, l’urgence de ne pas mourir… ils n’avaient pas le temps pour réfléchir à autre chose qu’à l’urgence.
Pleurer, s’exprimer, échanger… c’était un luxe et il n’y avait pas la place pour autre chose que « la vie », dans ce qu’elle de plus primaire.
Nos parents, naissant dans un tel contexte, ont été élevés « à la dure »: les épreuves endurées ne permettant pas de croire qu’il y avait la place pour autre chose que la violence.
Une croyance avec une logique implacable, binaire : « Les doux mourraient, les plus durs survivaient. »
Rajoutons à ça le contexte religieux, où l’enfant était vu comme étant « à matter », « à ne pas gâter », « un petit être démoniaque dès la naissance »… nous pouvons éventuellement comprendre le raisonnement et les propos de nos anciens.
De plus, et nous le savons aujourd’hui, un stress intense, les chocs, le cumul des épreuves, abiment le cerveau , neutralisent les neurones et fabriquent des adultes dénués d’empathie et de sensibilité.
Il semble difficile, sortis d’un tel contexte, qu’ils puissent comprendre, et ressentir notre urgence à nous:
Celle de bien construire des futures générations, celle de les construire au mieux.
Eux qui se sont sortis de tellement pire, à leurs yeux, notre vision de l’éducation apparait comme étant bien « superficielle » et « sortant d’un autre monde ». Et, c’est une réalité.
A l’heure où nous pouvons choisir d’avoir des enfants (n’oublions pas qu’ils n’avaient, eux, pas de moyen de contraception), à l’heure où nous pouvons les élever avec décence, en sécurité, où nous avons l’école à disposition (qui même si elle n’est pas parfaite, a le mérite d’être gratuite et accessible à tous, contrairement à la plupart des pays du monde), où nous réussissons à nourrir nos enfant avec décence, où nous pouvons les habiller convenablement, où nous avons des aides de l’état pour pas mal de choses dans nos vies… à leur yeux, nos enfants vivent déjà dans le grand luxe.
A l’heure actuelle, dans notre société, en temps de paix, nous avons beaucoup plus de temps pour nous pencher sur une psychologie et une éducation consciente.
Alors, quand je pense à nos anciens, à leur vie, à tout ce qu’ils ont enduré et ce par quoi ils ont du passer pour « éduquer » leurs enfants, je ressens une grande empathie et une grande indulgence face à tout ça.
Je me suis souvent tue face à ces anciens vociférant « qu’une claque n’avait jamais tué personne »…
Oui, je me suis souvent tue, face à leur « regard » sur ma vision de l’éducation bienveillante, me sentant presque « indécente », face à leur réalité.
Pas moins sure de moi, pas moins sure de ce que je voulais, mais…
OUI, je peux comprendre qu’en effet, à leur yeux, dans le monde d’où ils viennent, dans leur réalité dont je n’ai même pas idée (et que je souhaite de tout coeur ne jamais connaitre) … oui, je peux entrevoir que, pour eux, dans leur réalité :
« Une claque, ça n’a (effectivement) jamais tué personne »
MAGALI DUMEZ